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Maurice.

Il fait chaud sur les terrasses des cafés. Maurice est attablé, moitié à l’ombre, moitié au soleil. Il est imposant, Maurice. Il fait largement plus du quintal et les chaises ont de plus en plus de mal à le supporter. Devant lui, un vague pastis réchauffe…
A deux tables de là, doucement écrasé devant un café, son ami Antoine somnole gentiment, bercé par le doux bourdonnement de deux mouches presque aussi endormies que lui.


C’est alors qu’un « jeune » arrive, la casquette en arrière, le jean en sac de patates…. Il s’avance vers la table, enlève sa casquette, incline légèrement la tête et dit doucement : « Bonjour, Monsieur Maurice !
- Bonjour, Hakim !
- Comment va votre mère, Monsieur Maurice ?
- Elle est dans les mains de Dieu, mon fils !
- Qu’il la protège et lui rende la santé !
- Inch Allah, mon fils, Inch Allah ! »
et le jeune s’en va.


Alors Antoine, qui a vu toute la scène et ouvre des yeux comme des soucoupes, lui dit « Oh, Maurice ! C’est quoi ça ? Depuis quand un jeune beur vient comme ça te saluer et demander des nouvelles de ta mère ? Il est de ta famille ?
- Non, attends, je vais te raconter. Tu sais que ma mère vivait dans sa petite maison, là bas près du port. Elle était pas riche mais elle vivait bien toute seule et tout le quartier l’aimait bien. Eh bien un soir y-a eu beaucoup de bruit et quand les voisins sont venus voir, elle était couchée par terre avec plein de sang dans les cheveux. On l’a emmené à l’hôpital. Les policiers ont dit que « deux individus de type indéterminé se sont introduits chez elle pour la voler et l’ont brutalisée ». En fait, y a deux salauds qui l’attendaient. Quand elle a ouvert sa porte, ils l’ont bousculé, ont fouillé partout pour lui piquer ses quatre sous et comme ils trouvaient presque rien, ils l’ont cogné pour qu’elle leur dise où elle les planquait.
- Et alors ?
- Alors, je me suis renseigné. Tu sais que je connais du monde. Au bout d’une semaine, je savais qu’Hakim avait eu l’idée et que c’était lui qui avait frappé.
- Cet Hakim là ?
- Eh oui ! Alors, je l’ai attendu un soir, je lui suis tombé dessus et je lui ai dit :
« Je sais que c’est toi qui as frappé ma mère. Et bien tu vas venir tous les jours me demander de ses nouvelles parce que sinon, moi, comme tu me vois, je viens chez toi et je te fais la peau et en même temps je fais la peau à tous ceux que je trouve chez toi ! Et prie bien que Dieu la sauve parce que si elle meurt… »
Voilà ! Depuis 4 mois, tous les jours il vient et il me demande « Monsieur, comment va ta mère ? » et je lui réponds « Elle est dans les mains de Dieu, mon fils ! »


- Et en fait, comment elle va ta mère ?
- Elle n’est plus. Elle n’a pas supporté le choc. Son cœur a lâché. Elle est morte le lendemain.
- Mon Dieu ! Et tu n’as rien fait…
- Et qu’est-ce que tu voulais que je fasse ?
- Et depuis tout ce temps, le môme il vient… Et qu’est-ce qui va se passer quand il saura ?
- Oh ! Il le sait. Tout le quartier est au courant. Il le sait.
- Et il vient quand même !
- Oui.
- Pourquoi ?
- Je pense qu’il attend.
- Qu’il attend quoi ?
- Que je lui dise.
- Et tu lui diras ?
- Je lui dirai.
- Tu lui diras, quand ?
- Quand il sera prêt.
- Prêt à quoi ?
- A accepter que je lui ai pardonné. »
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© Vincent Herelle 2016