Maître Sauzède et le bureau du Maréchal Clauzel

de GENEVIEVE de TERNANT

(Documents pour l'Histoire)

Maître de Sauzède, un homme au cœur de l'Algérie naissante.

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Requiem pour une terre perdue


J’achève en cet automne plein de soleil un livre qui m’a envahie depuis près de quatre ans. Dans le ciel qui remplit l’espace, en face de mon bureau, passent de gros avions avec la tranquille assurance de notre siècle de science, avec ou sans conscience.

J’ai vécu durant ces quatre années, plus schizophrène que jamais, entre le temps présent, avec ses combats pour la vérité de l’histoire et les mille tracas quotidiens, et ce temps jadis – devrais-je dire naguère ? - où la France entreprenait sans le savoir, une geste pathétique.

Au fil de mes recherches, plongée dans les papiers de mon lointain grand oncle, Pierre François Xavier Sauzède, je rencontrais comme familiers, le Maréchal Clauzel, dont il fut l’ami et le secrétaire, et Bugeaud et Louis-Philippe, Roi des Français, et Abd-el-Kader et Léon Roche et Amram Darmon ; je contemplais leur écriture ou celle de leurs interprètes ; alors, j’allais revoir et revoir encore les visages de ces hommes sortis de leur légende pour me raconter l’histoire de ma ville avec des tournures parfois surannées, parfois brutales de soldat et les lettres de tendresse familiale ; trésor transmis par mon père et que je n’avais guère exploré : La vie ne fut pas facile mais elle m’a enrichie d’une expérience qui, sans doute, m’a permis de pénétrer les arcanes d’une aventure particulière, ni semblable à celle d’Alger ni celles de Bône ou de Constantine. Une histoire dynamique, émouvante et drôle parfois que j’espère ne pas avoir trahie.

J’ai le bonheur d’avoir, en mon fils aîné, un passionné d’histoire, navigateur compétant sur Internet et photographe d’archives. Doté d’une bonne plume et d’une mémoire infaillible, il est aussi un critique avisé, sévère… et très organisé. Sans son aide, je n’aurai sans doute pas réussi à donner cohérence à cette aventure que ne soupçonnent ni les « Français de France », ni les jeunes Algériens ni, hélas ! beaucoup de nos amis « pieds-noirs » puisque telle est notre dénomination.

Petite pierre apportée à l’édifice considérable des ouvrages écrits par beaucoup d’hommes et de femmes depuis 1830 et surtout depuis notre exode de 1962. Certains trouveront des racines lointaines aux événements qu’ils ont vécus, d’autres sans doute, liront comme un roman l’aventure étrange d’un pays dont, à travers mille tribulations, les habitants, autochtones ou importés, ont fait une nation. Enfant rebelle qui renie son A.D.N. français sans pouvoir s’en détacher.

Puisse cet ouvrage dont le seul mérite est la sincérité, contribuer à une meilleure compréhension. Puissent les hommes d’aujourd’hui aimer un peu les hommes d’hier : Ils croyaient si fort apporter du bonheur.

G. de Ternant
Septembre 2006

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2007

Editions Gandini .

Avant propos de l'auteur


Ce livre n’est pas destiné à substituer une légende rose à une légende noire, concernant la colonisation en tant que système. La colonisation, sous des noms différents a toujours existé et toutes les nations ne furent pas fondées autrement : colonisation par conquête, par immigration ou par le ventre des femmes, et ce fut ainsi en Europe, en Asie, en Amérique, en Afrique et en Océanie : nul continent n’en fut exempt et sur toute la surface du globe des hommes ont cherché une vie meilleure, des espaces pour eux et leurs enfants, des richesses imaginées dés qu’à l’aube des temps des bipèdes se sont mis en marche depuis la grande faille de l’Afrique de l’est vers ce qui deviendra le Moyen-Orient puis les branches dirigées vers l’Europe et l’Asie et d’autre part, vers l’Afrique de l’ouest.

Ainsi toutes les nations se sont formées sur des guerres brutales ou des invasions lentes ; les populations autochtones devenant soit sujettes, soit minoritaires, soit intégrées. Il ne s’agit ici ni de justification ni de condamnation mais d’une simple constatation à la portée de n’importe quel lecteur de l’histoire du monde, ancien ou actuel, comme on peut le voir au Kosovo, par exemple.

Découlant de la théorie des nationalités chère à Napoléon III, la notion de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, dans son acception actuelle, est récente ; c’est une idée née dans la deuxième moitié du XX° siècle qui en enfanta beaucoup. Souvenons-nous que lors de la guerre de 1870, le challenge était : Si l’Allemagne gagnait, elle annexait l’Alsace et la Lorraine ; si la France gagnait, elle annexait la Rhénanie. Les peuples n’étaient nullement consultés ; seules les richesses du sol et de l’industrie entraient en ligne de compte, fer et charbon en premier lieu, moteurs de la croissance des pays, à l’époque, comme plus tard le pétrole et le nucléaire.

En Afrique où la colonisation fut le fait de toutes les puissances européennes, pourquoi les peuples auraient-ils eut, à cette époque, plus de droits que les Alsaciens, les Lorrains ou les Rhénans ? Plus que les Grecs et les habitants des Balkans colonisés par la Turquie ?

Leur opinion ne comptait absolument pas et n’apparaissait nullement comme une contrainte morale. Au contraire, les puissances d’alors pensaient apporter à ces peuples dits primitifs dont ils connaissaient peu les mœurs et l’histoire, les progrès matériels en même temps que leur civilisation. Que ces progrès matériels et cette civilisation conviennent ou pas aux peuples conquis n’effleurait même pas l’esprit : Les Romains ont-ils pensé au bonheur des Gaulois ? Nous sommes tous des colonisés.

Il n’y avait, à priori, pas davantage de points communs entre les Francs germaniques et les Ligures frottés de latin qu’entre les berbères numides et les nomades d’Arabie. Le ciment dans l’un et l’autre cas fut la croyance religieuse plus ou moins vigoureusement imposée : Valeurs chrétiennes en Europe, en dépit des différences de culte et souvent de dogme, valeurs islamiques au Maghreb en dépit aussi de différences comparables. Les Juifs, mêlés aux deux groupes de population y faisaient, en quelque sorte, office de levain intellectuel et économique. Les puissants d’Europe confiaient leurs trésors à leurs banques, souvent par paresse ou inaptitude ; les puissants Turcs et Maghrébins les prenaient à leur service comme financiers parce que leur religion leur interdisait le prêt et l’agiotage ; Ce seront les Rothschild en Prusse, puis en Angleterre et en France, Les frères Pereire aussi et bien d’autres moins célèbres ; En pays musulman, rares sont les noms de Juifs influents connus : Ils arabisaient leur patronyme, par prudence.

Les puissants, de toute part, s’étaient vite rendus compte qu’il était plus facile de se débarrasser de leurs créanciers juifs en les accusant de mille turpitudes inventées que, par exemple, des banquiers lombards ou des Templiers…

Donc, mon travail n’est pas politique. Il découle de l’observation que la colonisation de l’Algérie a donné lieu à une multitude d’ouvrages dont le cœur est Alger, capitale et siège de l’autorité. Non que l’Oranie en soit absente, elle ne fut que rarement traitée de façon spécifique ; or la population autochtone comme l’histoire en faisait un amalgame aussi particulier que pittoresque. Eloignée des centres de décision, l’Oranie s’est construite suivant son génie propre : Berbères, Juifs andalous ou indigènes, Espagnols, sur tout cela, la greffe française a bien pris. Il y eut comme partout des voyous et des coquins aussi nombreux dans chacune de ses composantes, mais il y eut aussi partout des hommes de bonne volonté, animés d’idéaux élevés, et, puisque nos beaux esprits de la fin du XX° siècle et du XXI° naissant trouvent mille excuses au communisme qui fut une colonisation des terres et des âmes particulièrement sanglante, au motif, qu’il souhaitait le bien du genre humain, j’ose demander compréhension et justice pour ceux-là au moins et pour leurs descendants nés sur cette terre qu’ils ont su aimer et dont ils portent le deuil.

A travers ce que j’ai pu savoir de la vie de mon arrière arrière-grand-oncle, j’ai désiré dessiner un portrait loyal, intégré dans une époque et publier des documents inédits qui peuvent jeter quelques lumières sur ce moment de l’histoire. Ces documents ont été conservés dans les papiers de ma famille. Il me semble que mon devoir, après le naufrage de notre Atlantide, est de les verser au dossier de l’Histoire en les replaçant dans le contexte de l’époque où ils ont été écrits, sur le sol de l’Algérie tout en faisant référence, bien modestement, à la fresque turbulente de ce monde du XIX° siècle.

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